En France, près de 40 % des dirigeants d’entreprise déclarent avoir choisi leur orientation professionnelle sous l’influence directe de leur entourage familial. Les transmissions de valeurs, de croyances ou d’attentes silencieuses façonnent des trajectoires parfois à l’insu de ceux qui les empruntent.
Des études montrent que la présence de secrets ou de conflits familiaux non résolus peut impacter la confiance en soi et la prise de décision dans la sphère professionnelle. Les effets de ces dynamiques s’étendent sur plusieurs générations, modifiant durablement la manière dont l’individu envisage sa place au travail.
La famille, premier cercle d’influence dans la vie professionnelle
Dès l’enfance, la famille pose les fondations de notre manière d’être au monde. C’est le premier groupe social, le creuset où s’élaborent identités, repères et façons d’interagir. Margaret Mead, pionnière de l’anthropologie, voyait dans la famille ce laboratoire où l’on apprend les règles du jeu collectif, les codes implicites, les croyances qui, plus tard, guideront nos pas. Parents, frères, sœurs : chacun occupe une place, visible ou non, qui façonne la trajectoire de tous, jusque dans la sphère professionnelle.
À bien des égards, l’entreprise est le miroir de ce cercle originel. Elle reproduit, sans que l’on s’en rende toujours compte, les schémas familiaux. Le manager prend parfois la posture d’un parent, la solidarité se teinte de fraternité, la compétition rappelle les dynamiques de la fratrie. Ce n’est pas un détail. Louis Belleau a montré que plus on perçoit l’entreprise comme une “famille”, plus l’engagement, la fidélité et la motivation s’ancrent dans la durée. Les groupes, au travail comme à la maison, s’appuient sur des mécanismes psychiques hérités de la famille.
| Concept | Famille | Entreprise |
|---|---|---|
| Leader | Père, mère | Manager, dirigeant |
| Rôles | Frères, sœurs | Équipe, collègues |
| Valeurs | Justice, protection | Loyauté, cohésion |
L’influence familiale ne s’arrête pas au seuil de l’enfance. Elle continue de s’inscrire dans chaque décision, dans la façon de s’affirmer, de coopérer, ou de se mettre en retrait face à la hiérarchie. L’empreinte familiale façonne durablement notre manière de nous engager dans la vie professionnelle, que l’on en ait conscience ou non.
Quels mécanismes familiaux façonnent nos choix de carrière ?
Tout commence à la maison. Les modèles parentaux, la place que l’on occupe dans la fratrie, les valeurs transmises, influencent la façon d’envisager le travail et la réussite. Dès l’enfance, l’observation et l’imitation des adultes forgent des habitudes et des croyances durables. Le goût de l’effort, le respect de l’ordre, la propension à la compétition ou à la solidarité découlent souvent du climat familial.
Fletcher Peacock détaille comment la position d’aîné, de cadet ou de benjamin oriente la manière d’aborder les défis collectifs. La relation à la mère, pilier de l’attachement, contribue à la solidité intérieure. Le père, figure de loi ou de transgression, modèle le rapport à l’autorité. Quand l’attachement est sécure, l’audace s’exprime plus facilement ; si l’attachement est fragile, l’anxiété ou la prudence prennent le dessus.
Le poids des rôles et des attentes
Voici quelques dynamiques qui s’installent dès le plus jeune âge et façonnent les choix professionnels :
- Les rôles attribués, “le responsable”, “l’artiste”, “le conciliateur”, guident, parfois à notre insu, vers certaines formations ou métiers.
- Le climat familial, qu’il soit apaisé ou conflictuel, influence la gestion des émotions et la façon d’aborder l’autorité.
- Des valeurs comme la justice, la protection ou l’ordre se muent en repères structurants, ou bien en barrières, tout au long du parcours professionnel.
Christine Bouissou et Anne Teechewort rappellent que l’influence familiale ne s’arrête pas à la transmission de récits. Elle s’ancre dans la psyché, façonne des automatismes, et oriente des choix majeurs parfois bien des années après l’enfance.
Secrets de famille et non-dits : des héritages invisibles qui pèsent sur le parcours professionnel
La famille ne se réduit pas aux mots échangés au quotidien. Des silences, parfois lourds, s’installent. Secrets, non-dits ou conflits anciens laissent une empreinte discrète mais tenace, qui ressurgit là où on s’y attend le moins : au moment de prendre une décision, dans la gestion d’un conflit professionnel, ou face à l’autorité.
Les recherches de Laurence Gagné révèlent comment une psyché familiale se prolonge dans le collectif en entreprise. Un silence transmis de génération en génération peut influer sur la capacité à s’affirmer ou à prendre des risques. Certains schémas, comme la rivalité ou une loyauté excessive, se rejouent au bureau, sans que l’on fasse toujours le lien avec l’histoire familiale.
- Des scénarios inachevés se rejouent dans la gestion des émotions ou dans les difficultés à s’imposer.
- Le fait d’endosser le rôle de victime, de sauveur ou de bouc émissaire trouve parfois ses racines dans ces héritages silencieux.
Le cerveau, heureusement, reste capable d’évoluer. Mais l’empreinte de l’enfance s’invite longtemps dans la construction de la confiance en soi, des ambitions, et même dans la peur de l’échec. Les psychologues, à l’image de Jeanne Marie Vidon, invitent à reconnaître ces transmissions invisibles pour sortir du cercle des répétitions et retrouver une liberté de choix. Il ne s’agit pas d’effacer ce passé, mais d’en prendre la mesure pour ne plus le laisser piloter nos trajectoires professionnelles dans l’ombre.
Prendre conscience de l’impact familial pour mieux s’épanouir au travail
Faire la lumière sur l’influence de la famille dans le parcours professionnel suppose de l’honnêteté envers soi-même. Les représentations, les attentes, les peurs ou les élans hérités du foyer familial sont autant de forces agissantes. Les travaux d’Edward Tronick montrent qu’une sécurité affective acquise très tôt se retrouve, des années plus tard, dans la façon de coopérer ou de gérer des conflits au sein d’une équipe.
L’entreprise, vécue comme un nouveau cercle d’appartenance, devient le lieu où s’opèrent des recompositions. On rejoue des rôles, on transfère des attentes. Parfois, la solidarité s’amplifie ; d’autres fois, ce sont d’anciennes rivalités qui ressurgissent, colorant les relations professionnelles.
- La capacité du cerveau à se remodeler autorise des ajustements, mais l’empreinte de l’enfance reste bien présente.
- La transformation des liens précoces en relations fraternelles nourrit la coopération et la solidarité dans les équipes.
- Les leaders qui s’appuient sur leur histoire familiale développent une influence plus durable, parce qu’elle sonne juste.
Identifier ces mécanismes, c’est ouvrir une porte vers plus de liberté. La famille laisse une trace, profonde, sur la façon dont s’écrit la vie professionnelle. Mais c’est en prenant conscience de cet héritage que chacun peut, enfin, inventer sa place, construire une relation apaisée au travail et tracer sa propre route. Après tout, nos origines nous accompagnent, mais elles n’écrivent pas la fin de l’histoire.


